Carnets de l'Economie

La fin du gaz russe : un choc asymétrique pour les économies européennes




Aurélien Lacroix
07/05/2025

Le 6 mai 2025, la Commission européenne a officialisé une proposition visant à interdire, d’ici la fin 2027, toutes les importations de gaz russe. L’annonce, à la fois attendue et redoutée, marque une nouvelle étape dans la politique de réduction des dépendances énergétiques, amorcée dès le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022. Mais derrière cet affichage d’unité stratégique, les impacts économiques s’annoncent très inégaux selon les pays, les secteurs et les capacités d’adaptation.


Des économies européennes encore exposées de manière variable

Avant la guerre, la Russie fournissait près de 45 % du gaz importé par l’Union européenne. En 2025, cette part est descendue à 18 %, selon les données de la Commission. Pourtant, cette moyenne masque des écarts significatifs : certains pays comme la Lituanie ou les Pays-Bas ont pratiquement cessé toute importation de gaz russe, tandis que d’autres, comme la Hongrie, la Slovaquie ou l’Autriche, continuent de recevoir des volumes substantiels, notamment via le gazoduc TurkStream.

Dans sa proposition, la Commission vise l’arrêt progressif de tous les contrats de fourniture de gaz russe, y compris les contrats à long terme avec Gazprom encore actifs, en interdisant leur renouvellement ou extension après leur expiration. La mesure engloberait également les achats sur les marchés spots.

Une pression accrue sur l’industrie et les grands consommateurs

L’industrie européenne, grande consommatrice de gaz naturel (notamment dans les secteurs chimiques, sidérurgiques, verriers ou de la production d’engrais), risque d’être particulièrement exposée. Pour certains pays comme l’Allemagne, qui a déjà réduit sa dépendance au gaz russe de plus de 50 % depuis 2022, le coût d’adaptation reste élevé. L’industrie allemande, très énergivore, fait face à des coûts structurellement plus élevés que ceux de ses concurrents internationaux, notamment asiatiques ou américains, mieux approvisionnés et moins soumis à des contraintes géopolitiques.

Selon une note interne relayée par Reuters, plusieurs groupes industriels ont alerté la Commission sur les risques de délocalisation de production et sur la perte de compétitivité à moyen terme si l’approvisionnement en GNL devait s’accompagner de coûts logistiques et de volatilité accrue des prix.

En Italie et en Espagne, l’exposition directe au gaz russe était plus limitée. Ces pays ont investi tôt dans des infrastructures GNL et disposent de capacités d’importation diversifiées, notamment depuis l’Algérie. Leurs économies pourraient donc mieux absorber le choc qu’un pays enclavé dépendant des livraisons par gazoduc.

Des conséquences sur les prix, l’inflation et la croissance

L’interdiction envisagée pourrait également exercer une pression haussière sur les prix du gaz, même si les marchés ont déjà intégré une partie des effets depuis les premières sanctions de 2022. En cas de conditions climatiques extrêmes ou de tensions sur l’approvisionnement global, les prix pourraient repartir à la hausse, affectant les ménages comme les entreprises.

Selon les projections de la Banque centrale européenne, une hausse de 10 % du prix du gaz peut provoquer une augmentation de l’inflation globale de 0,2 à 0,4 point, selon les pays. Dans les États où le gaz reste fortement utilisé pour le chauffage résidentiel ou la production d’électricité, comme la Belgique, les Pays-Bas ou certaines régions de France, les effets pourraient être plus sensibles.

Le PIB des États membres pourrait également être impacté de manière différenciée. Une étude du think tank Bruegel estimait en 2023 que la fin des importations russes pourrait coûter jusqu’à 1,5 % de PIB en Hongrie, contre 0,3 % en France ou 0,1 % en Espagne, sous réserve de stabilité géopolitique globale.

Un agenda énergétique aux répercussions macroéconomiques durables

La Commission européenne justifie sa proposition comme un levier stratégique de sécurisation de l’approvisionnement et de renforcement de la résilience énergétique de l’Union. En arrière-plan, elle vise aussi à tarir les sources de financement de l’effort de guerre russe. Le plafonnement du prix du pétrole brut à 60 dollars et la réduction des importations de gaz et charbon ont déjà privé la Russie de plusieurs centaines de milliards d’euros de recettes.

Mais cette stratégie de rupture énergétique, si elle aboutit, redéfinira en profondeur les chaînes de valeur énergétiques, la structure des prix du gaz en Europe et la compétitivité industrielle à moyen et long terme. Le succès de ce tournant dépendra de la capacité collective à accélérer la diversification des sources, renforcer les capacités d’interconnexion intra-européennes, développer les infrastructures GNL, et surtout maintenir l’unité politique des 27 États membres.





 










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