Carnets de l'Economie

Il faut rester prudent par rapport à ce que l’avenir peut réserver à l’Amérique.




Jérémy Ghez
09/05/2019

Dans un entretien avec les Carnets de l'Economie, Jérémy Ghez, Professeur affilié à HEC en Économie et Sciences de la Décision, Co-Directeur du Centre HEC Paris de Géopolitique, fait le point de la situation politique américaine.


L’économie américaine montre, en apparence, les signes d’un succès insolent. Quelle est votre analyse de ce paradoxe entre mesures de protectionnisme, guerre commerciale et réussite économique ? 
 
L’économie américaine se portait déjà bien avant l’arrivée de Donald Trump. Elle avait déjà recommencé à recréer des emplois dès janvier 2009, quelques mois à peine après le début de la Grande Récession de 2008. De plus, le chômage a amorcé sa baisse dès la fin de 2009. Contrairement à Obama, Trump a pris les rênes d’une économie florissante. Mais il faut lui rendre ce qui lui appartient : il n’a pas cassé le cycle expansionniste — dont la durée a de quoi faire rêver en Europe — contrairement à ce qu’un certain nombre d’économistes craignaient. C’est la preuve de la grande confiance des acteurs économiques américains. Il ne s’agit donc pas d’un miracle économique, mais d’une conjoncture favorable qui n’a pas été enrayée. Donald Trump aurait tort de ne pas revendiquer une victoire économique, mais il ne faut pas se tromper sur le vrai rôle de cette administration.
 
Dans quelle mesure cette situation ne constitue pas l’assurance pour Trump d’un second mandat ? 
 
On le sait, l’économie joue un rôle fondamental dans les élections américaines. Or, si l’économie se porte bien à l’heure actuelle, elle n’est pas à l’abri d’un retournement conjoncturel (sans même parler d’une crise exceptionnelle de l’ampleur de celle de 2008) qui pourrait peser dans le scrutin de 2020. On sait d’ailleurs à quel point la coalition politique qui a permis à Donald Trump de gagner l’élection 2016 peut s’avérer fragile : si un gros tiers de l’électorat le soutiendra mordicus, une autre petite partie de l’électorat (environ 10-12 %) essentiellement républicaine lui apporte un soutien conditionné par ses résultats économiques. Si un retournement conjoncturel avait lieu, cette partie de l’électorat pourrait rester chez elle le jour du scrutin et mettre à mal les capacités de ce président à se faire réélire. 
 
Cette situation n’est-elle pas en grande partie artificielle, et ne comporte-t-elle pas les germes d’un retour de bâton douloureux à plus ou moins long terme ? 
 

Lorsque Donald Trump s’est installé à la Maison-Blanche, il a appuyé sur l’accélérateur au moment où l’économie américaine se portait déjà bien. Dans le monde d’hier, on aurait pu s’attendre à ce que l’exécutif américain calme le jeu pour éviter l’emballement de la machine. Au lieu de cela, Donald Trump et son administration ont baissé de manière significative les impôts des entreprises et des particuliers. Le déficit budgétaire américain s’est creusé alors même que Donald Trump accusait son prédécesseur d’une trop grande inconséquence vis-à-vis de cette question. Le risque de long-terme n’est donc pas négligeable en effet. 
 
Il faut cependant se souvenir d’une chose : à maintes reprises, on a appris, parfois à nos dépens, que la logique du monde d’hier n’est plus forcément celle du monde d’aujourd’hui. Il faut rester prudent par rapport à ce que l’avenir peut réserver à l’Amérique.
 
Alors que la France est engluée dans un conflit social violent, quels sont les risques à vos yeux pour les démocraties européennes de se voir absorber par le populisme, à l’école de Trump ?
 
Le risque est fondamental et on le voit tous les jours. Une partie non négligeable de la population européenne considère (à juste titre) qu’elle a beau se lever tôt, jouer selon les règles du jeu, se comporter de manière responsable au jour le jour et faire des choix responsables dans les urnes. Et pourtant, elle n’obtient rien en retour : le chômage n’a pas diminué de manière substantielle et elle a l’impression que son pouvoir d’achat stagne. Pire, elle continue d’avoir peur d’être déclassée : ce n’est pas uniquement une question financière, mais aussi une question de statut social. Cette partie de la population semble bien plus ouverte à prendre des paris plus risqués et à entendre des discours qui auraient pu lui sembler bien peu recommandables hier. 
 
Dans ces conditions, la démission de la classe politique dit ‘mainstream’ — que ce soit parce que cette classe politique adopte un discours populiste ou parce qu’elle reste inactive — constituera une faute difficile à pardonner. Donald Trump est bien la preuve qu’il faut réinventer la manière dont on fait de la politique et qu’on a beau regretter les slogans simplistes, mais la seule manière de les combattre, c’est d’obtenir des résultats durables. Les recettes d’hier ne marchant plus, il faudra faire des sauts quantiques, car les petites modifications à la marge ne fonctionnent plus.