Carnets de l'Economie

Les secrets de fabrication d'Oberthur Fiduciaire




La Rédaction
07/04/2016

Non, cet article ne va pas vous apprendre à fabriquer des billets de banques chez vous. Par contre, il pourrait vous faire comprendre à quel point l’impression des billets de banques est un travail complexe, relevant aussi bien de l’art que de l’ingénierie.


Pour ceux qui seraient tentés par le DIY de l’impression fiduciaire, il convient de rappeler que la contrefaçon de billets est l’un des crimes les plus sévèrement punis par le code pénal. Ce n’est pas parce que la peine encourue ne figure plus sur les billets en euros (c’était le cas sur les francs), qu’elle n’est plus appliquée : trente ans de réclusion criminelle et 450 000 euros d'amende, soit la peine maximale prévue par le code pénal, tous crimes confondus (Article 442-1). La simple détention (en toute conscience) de faux billets peut déjà valoir à son auteur le tiers de cette peine. C’est qu’on ne badine pas avec tout ce qui touche à la souveraineté de l’Etat !

Pour autant, si l’émission monétaire est du ressort de l’Etat via sa banque centrale (sauf en Europe, avec la BCE), l’impression matérielle des billets n’est pas réservée aux banques centrales. Si l’EPIC Monnaie de Paris a bien la charge de la frappe d’une partie des pièces en France, la banque de France dispose d’une activité industrielle d’impression fiduciaire de billets en euros (par délégation de la BCE). Mais elle n'intervient en réalité qu'en complément d’acteurs industriels privés.

Oberthur Fiduciaire fait partie de ces derniers. Sa production et ses marchés ne se limitent pas aux euros : du Guatemala aux îles Vanuatu, en passant par la Namibie, Oberthur Fiduciaire imprime les billets de 70 pays dans le monde. En 2014, plus de 5 milliards de billets de banque sont sortis des usines d’Oberthur Fiduciaire.

Or un billet de banque, c’est à la fois très simple et très compliqué. Très simple, parce que le produit fini suit dans tous les cas les mêmes principes, inhérents à tous les billets de par le monde, ou presque. On pourrait d’ailleurs être tenté de croire que tous se ressemblent et se « valent » (en termes industriels). Or, rien n’est moins vrai, et c’est en cela qu’un billet est également un produit d’une exceptionnelle complexité.

Mais avant d’en arriver au « produit fini », il aura fallu retranscrire, de façon picturale, l’essence d’une nation sur un bout de pâte de coton (et non de pâte à papier, comme on le croit souvent) ou de plastique, dans le cas des billets dits polymères, tout en y incorporant des dizaines de dispositifs de sécurité anti-contrefaçon. Le résultat prendra place sur un support qui sera manipulé, plié, froissé, déchiré, lavé un nombre incalculable de fois durant sa vie. Le billet se doit donc d’être pratique, souple, résistant, inimitable, infalsifiable et, naturellement, bon marché.

Les « secrets de fabrication », chez Oberthur Fiduciaire, sont à rechercher à la fois dans les capacités techniques de l’entreprise, mais aussi dans un savoir-faire artistique hérité de l’entreprise d’impression et de gravure qui a donné son nom à l’actuel imprimeur fiduciaire : les imprimeries François-Charles Oberthur.

Créées en 1842 à Rennes en Bretagne, elles se sont d’abord rendues célèbres en imprimant notamment le calendrier des Postes ou, moins joyeusement, le formulaire des impôts. Les imprimeries Oberthur seront également chargées par la Société Française des Chrysanthémistes de la réalisation du « répertoire des couleurs »*, devenu depuis document de référence en matière de nuances colorées. L’impression de billets de banques commencera elle vers le milieu du 20ème siècle pour suppléer la Banque de France. Après une passe très difficile dans les années 1970, l’entreprise dépose le bilan en 1983 avant d’être restructurée sous forme de trois sociétés distinctes en 1984. La partie impression fiduciaire et documents de sécurité est rachetée par Jean-Pierre Savare, qui entend bien s’appuyer sur un savoir-faire plus que centenaire en termes d’impression et de gravure.

Mais l’héritage industriel et artistique ne suffit pas. Aujourd’hui, les moyens techniques permettant de scanner et de copier efficacement à peu de frais s’étant très largement démocratisés, il a bien fallu trouver ailleurs que dans la précision du trait et la finesse de la gravure le moyen de contrer les faussaires, pour la plupart professionnels et surtout, fins techniciens.

Au-delà de l’aspect « artisanat d’art », un billet concentre donc des dizaines de technologies différentes dont le seul but est de devancer les contrefacteurs, dans une course technologique perpétuelle. Mais les technologies utilisables répondent elles-mêmes à un cahier des charges précis : elles doivent être peu onéreuses, invisibles pour certaines, visibles pour d’autres (pour aider le non-spécialiste à discriminer d’un coup d’œil vrais et faux billets), durables, reproductibles en très grande série…

Les technologies en question portent des noms barbares : flexographie, holographie, héliogravure, embossage, irisation… Tout ou presque, dans un billet, est travaillé, façonné, complexifié pour rendre la tâche des contrefacteurs impossible; les encres dites « de sécurité » comme les papiers sont conçus sur-mesure, avec des caractéristiques spécifiques pour chaque billet. A ces ingrédients « classiques » de l’impression s’ajoutent les fils et bandes de sécurité, les hologrammes, les filigranes, les patchs… Les derniers développements ambitionnent même d’incorporer nanotechnologies et puces RFID à des billets devenus hydrophobes ou bactéricides.

Mais toutes ces technologies ne sont qu’une partie de celles effectivement utilisées, car sur les dizaines de dispositifs employés sur chaque billet, seuls quelques-uns sont connus. Si certains secrets de fabrication sont encore mieux gardés que les réserves de la Banque de France, la raison en est évidente : source de valeurs, au sens étroit du terme, intermédiaires d’échanges et carburant de l’économie, la monnaie est aussi de la « liberté frappée » pour reprendre l’expression de Fiodor Dostoïevski. Mais une liberté et une valeur qui dépendent de la confiance qu’on lui accorde, raison pour laquelle la monnaie fiduciaire (fidus- signifiant étymologiquement confiance) doit impérativement rester une forteresse inexpugnable.
 
(*) http://www.sensemaking.fr/Du-Repertoire-des-couleurs-aux-brevets-de-securite_a240.html










Décideurs

Nvidia : capitalisation record, Google et Amazon battus

Crédits toxiques : BNP Paribas solde le conflit Helvet Immo

Taux d'usure 2024 : la fin de la mensualisation ?

Titres-Restaurant : les règles changent à nouveau en 2024