Carnets de l'Economie

Situations de crise: la nature a horreur du vide




La Rédaction
18/06/2012

Les entreprises sont fréquemment confrontées à des situations de crise. Le groupe de croisières Costa avec le naufrage du Concordia et ses 32 victimes en est un exemple récent.


Situations de crise: la nature a horreur du vide
Ces crises sont de tous ordres : suicides de salariés chez Renault à Guyancourt, malversations de trader avec l'affaire Kerviel contre la Société Générale, marée noire au large de la Louisiane pour British Petroleum. La liste de ces affaires surmédiatisées serait bien trop longue. C'est bien parce qu'elles occupent le devant de la scène que ces évènements contraignent les entreprises à affronter les médias. Elles doivent impérativement apporter les éclaircissements et annoncer les mesures nécessaires. Leur silence serait particulièrement dommageable selon l'adage : qui ne dit mot consent.

L'image et la réputation, livrées aux médias seuls, ne peuvent qu'en pâtir. Ceci est particulièrement vrai, s'agissant de l'opinion publique, qui, influencée par la presse, a vite fait de condamner une entreprise muette. Mais c'est également vrai en interne. Les équipes sont également frappées par les évènements et doivent être confortées et rassurées avant que le doute ne produise des ravages. Pour toutes ces raisons, le management doit faire face. Son absence ne peut être que très négative. Or, les managers sont également sous le choc. Les rapports difficiles avec les médias ne font pas partie de leur formation. C'est pour cette raison que la plupart des entreprises utilisent des cabinets spécialisés en communication de crise.

Ces experts les aident à formuler un message cohérent face à leurs équipes et face à l'opinion publique. Souvent, ces agences suivent les entreprises depuis des années et connaissent leur histoire et leur culture. Elles les accompagnent dans tous les évènements, qu'ils soient heureux ou malheureux. Dans ce cas, elles peuvent plus facilement les aider à formuler les messages destinés aux équipes internes. La stratégie média est organisée pour garder le contrôle de l'image de l'entreprise avec des responsables qui s'expriment et qui semblent plus maîtres de la situation.

Quand faut-il parler ?

Les situations de crise sont variées, aussi est-il difficile d'avoir une réponse unique à la question du bon moment pour s'exprimer. Dans certaines circonstances, un délai sera nécessaire pour montrer du respect vis-à-vis de victimes éventuelles. C'est le cas par exemple quand survient un accident. Se répandre trop rapidement en considérations techniques devant les caméras pourrait être interprété comme un manque de respect. Mais ce délai ne saurait s'éterniser, car il traduirait alors le flottement dans la gestion de la crise. Il induirait le doute sur la réactivité des dirigeants. C'est pour cela que même si les propos doivent être minimes, il faut tout de même qu'ils soient prononcés.

En général, la réaction interviendra donc rapidement. Il s'agira dans un premier temps de montrer que l'entreprise a pris la mesure des évènements et que les responsables sont déjà au travail. Le premier message pourra alors se limiter à un sobre constat des faits. À l'issue de celui-ci sera annoncé le prochain rendez-vous de communication. Cette sobriété se révèle payante, car elle évite le fantasme. Au final, il convient de ne pas parler trop tôt et d'attendre que les informations soient plus précises. Mais il ne faut pas non plus parler trop tard. Renault est un cas d'école. Le groupe a refusé de s'exprimer sur plusieurs affaires pourtant très médiatisées : les suicides survenus à Guyancourt et les rumeurs de délocalisation. Du fait de cet assourdissant silence, le groupe a vu son image se dégrader. L'intervention tardive des dirigeants a été sans effet pour restaurer celle-ci.

La vraie difficulté vient alors des médias sociaux. Ceux-ci fonctionnent en effet 24 heures sur 24 et sont planétaires. Dans ce domaine, le fameux journal de 20 heures n'existe pas : on n'a pas le temps de préparer ses communiqués officiels. Les vidéos en ligne sur YouTube sont vues par des milliers de personnes, juste après y avoir été déposées. Les informations sont relayées à l'échelle du village mondial. Une rumeur locale peut faire le buzz et être reprise dans le monde entier en quelques heures.

Là encore, il n'est pas possible d'attendre. Démentir une rumeur est un exercice périlleux. La maîtrise du fonctionnement des médias sociaux contraint les agences de communication de crise à travailler autrement. Recevoir les tweets et y répondre avant qu'il ne soit trop tard est indispensable. C'est pour cela que des équipes entières sont dédiées à ce travail où la réactivité est vitale. L'exemple récent de McDonald's accusé de faire payer plus cher les Afro-américains dans un de ses restaurants illustre bien cette indispensable réactivité. Des photos du restaurant avaient déjà commencé à circuler sur Internet. McDonald's a su réagir très vite pour démonter ce canular. Certaines agences proposent même des formations aux médias sociaux, c'est le cas par exemple de l'agence digitale RCA avec son social média training. La communication de crise ne peut faire l'économie d'une stratégie dédiée aux médias sociaux : Twitter, Facebook, YouTube, dailymotion.

À qui faut-il parler ?

Face à la difficulté des évènements à gérer, il est important de ne pas en rajouter une : la gestion du plan média. Il est essentiel que celui-ci soit cohérent. La diffusion de messages contradictoires serait dangereuse. Le message à diffuser est précis et cohérent, tous les mots sont soupesés. Il s'inscrit dans une stratégie de redressement de l'entreprise. La gestion du plan média doit donc éviter la cacophonie. Pour cette raison, le même message sera diffusé à tous les journalistes sur un pied d'égalité.

Cette méthode a l'avantage de montrer la maîtrise de la communication et donc, de la situation elle-même. On peut bien entendu décliner l'information principale au cours d'interviews particulières, mais il s'agira bien de déclinaisons d'un même message dont on se sera assuré qu'il a bien été correctement repris. Moins on en dit, mieux c’est. La technique est à peu près toujours identique, mais elle doit pouvoir s'adapter aux situations. Face au drame du Concordia, les dirigeants du groupe Costa ont préféré avoir affaire à de petits groupes de journalistes. Ils souhaitaient éviter tout sensationnalisme. Mais s'ils s'exprimaient en face de petits groupes, il fallait assurer la cohérence de cette communication. Il était indispensable que l'information soit la même et qu'elle puisse être recoupée. L'agence de communication Burston Marsteller a donc veillé à coordonner cette communication morcelée. Là encore, les erreurs d'interprétation de la presse sont dangereuses. La publication d'un rectificatif est bien souvent insuffisante.

Dans certains cas, certaines sources d'information seront privilégiées. Les situations sont différentes : un accident majeur n'a rien de commun avec des opérations boursières frauduleuses. Dans certains cas, il sera judicieux de fournir des informations privilégiées à certains journalistes. La contrepartie en sera un effort d'analyse de leur part avec des informations plus fouillées. Ce calcul est risqué et se fait sans garantie. Tous les journalistes sont à la recherche d'exclusivité ou de scoops, de ce fait, ils font toujours pression pour obtenir des traitements privilégiés. Respecter les règles du jeu est la meilleure manière d'obtenir un traitement objectif et équitable des messages. En cas de manquement, il convient toujours de ne pas accuser la presse et de revoir la stratégie de communication mise en place. En tout état de cause, pour Marie-Céline Terré, directrice d'Ozinfos, agence de conseil en communication, il faut répondre à toutes les questions. Là encore, dans le cas du Concordia, il fallait éviter que certaines sources se sentent délaissées du fait du morcellement de la communication demandée par les dirigeants du groupe Costa. Frappés eux-mêmes par la gravité de l'évènement, les dirigeants ont été solidement épaulés par leur agence de communication, aussi bien dans leur rapport avec la presse, qu'en interne dans l'entreprise ainsi ébranlée. L'agence a veillé à ce qu'aucun groupe de journalistes ne bénéficie d'un traitement de faveur. La communication, qui se heurtait de plus au fait que les communicants étaient français et l'entreprise italienne, a été parfaitement maîtrisée.

Qui doit parler ?

C'est bien entendu aux dirigeants de prendre la parole. Des exemples récents ont montré d'autres intervenants occuper le devant de la scène. Ainsi, dans l'affaire Kerviel, l'avocat du jeune trader s'est montré sur toutes les chaines de télévision et s'est répandu dans toute la presse. Il s'est occupé de gérer la communication de Jérôme Kerviel en accordant ou refusant des entretiens. De manière générale, les avocats sont particulièrement tentés par les médias dans le but de surmédiatiser leurs clients et leurs intérêts. Leur laisser la place libre serait particulièrement hasardeux. Aussi, qu'ils soient PDG de Total, Renault, France Télécom, Société Générale, les dirigeants de premier plan doivent faire face. Déléguer les seconds couteaux serait particulièrement mal interprété et serait le signe d'un manque de courage, ou d'une direction en perdition. Il s'agit de montrer que la situation est sous contrôle et que sa gravité a été mesurée. Cette fonction du dirigeant est logique. Il a droit aux honneurs dans les succès et il doit prendre sa part de responsabilité quand l'heure des turbulences sonne. Ce rôle des responsables au moment de la gestion de crise n'est tellement pas contesté que certains suivent des formations ad hoc. Briefés, entraînés par les agences, ils sont aptes à délivrer les messages. Ceux-ci se limitent aux faits et à l'annonce de mesures. Il ne s'agit pas de personnaliser le discours ni d'y mêler des considérations étrangères. Ainsi, en cas de plan social massif, il est important de montrer l'image d'un gestionnaire qui prend des mesures cohérentes. Il serait hasardeux d'exprimer des sentiments excessifs en faveur ou contre les salariés ou les syndicats.

Ces circonstances sont difficiles également pour les dirigeants. Fragilisés eux aussi, ils sont pourtant en première ligne. Leur communication doit absolument être verrouillée pour éviter tout malentendu. La répétition des crises conduit les agences spécialisées à former les dirigeants afin de les aider à affronter ces évènements ainsi qu'à maîtriser leur discours face à la presse. Ici tout compte : aussi bien les mots employés que les attitudes elles-mêmes. 80 % du message est dans la gestuelle. Ainsi, l'agence Altaïr conseil, prépare les dirigeants, les aide à développer les bons réflexes, à adopter les bonnes postures. Pour elle, le dirigeant doit savoir parler aux journalistes et répondre à toutes les questions. Il n'y pas de questions tabou. Mais il convient d'éviter toute confidence et de se limiter au message officiel. La connivence avec la presse ne peut être que dangereuse, car le dirigeant ne maîtrise pas le fonctionnement des médias. Derrière une apparente complicité se profile le danger des malentendus, ou du confidentiel jeté sur la place publique. Tout ceci peut conduire à en dire trop, ce qui ne peut être que défavorable dans un domaine et face à une situation où chaque mot compte.

Le traitement d'une crise ne se limite pas à de la communication. Les entreprises doivent bien entendu trouver en priorité, les solutions effectives à leurs difficultés. L'essentiel est tout de même de surmonter la crise. France Telecom a dû revoir son management et ses objectifs, la Société Générale a corrigé ses procédures de contrôle, British Pétroleum a colmaté la fuite au large de la Louisiane. Toutes les entreprises confrontées à une crise doivent avant tout la résoudre. Il est indéniable qu'elles y parviennent toutes, et par-delà, elles se dotent des moyens pour éviter que de tels évènements se reproduisent. Elles démontrent ainsi leur réactivité et leur dynamisme malgré les difficultés. Il n'en reste pas moins que pour l'opinion, en présence d'une situation de crise, l'entreprise et ses dirigeants doivent avant tout parler. L'objectif est d'occuper l'espace médiatique qui, sans eux, se remplirait de nouvelles rapportées, de rumeurs, et d'approximations. Réagir est une nécessité, mais encore faut-il que le message soit cohérent. C'est le métier de spécialistes de s'en charger. Ils rédigent les messages, forment les dirigeants aux relations avec la presse. Ils organisent la stratégie de communication. Désormais, ils maîtrisent également les réseaux sociaux et réagissent en temps réel. À l'heure où les crises se succèdent, elles sont insérées dans des plans média qui les banalisent. Communiquez, il n'y a rien à voir.
 










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