Carnets de l'Economie

La Suisse est-elle l’exemple à suivre ?




Thibault Yvon
18/03/2013

La Suisse a récemment décidé par initiative de référendum populaire la limitation des parachutes dorées et rémunérations abusives dans l’ensemble des secteurs de l’économie. Surprenante de la part du pays des banques, cette décision suscite interrogations et réactions à travers toute l’Europe.


La Suisse est-elle l’exemple à suivre ?
Le 3 mars 2013, les Suisses ont voté à 67,9 %, avec un taux de participation de 46%, en faveur de la proposition d’interdiction des « rémunérations abusives ». Ce vote a fait suite au dépôt d’une pétition ayant recueilli 100 000 signatures. Cette pétition a été initiée par Thomas Minder, chef d'entreprise et sénateur UDC (Union démocratique du centre, droite populiste) (1) , sur le principe du droit au référendum d’initiative populaire. Fait rare dans l’histoire suisse, le « oui » a été majoritaire dans l’ensemble des cantons, signe d’une véritable mobilisation pour ce texte, qui prévoit de "fixer des limites aux entreprises cotées en bourse afin que ces dernières ne puissent plus verser des rémunérations excessives à leurs cadres supérieurs" (2) . Le monde entier, Europe en tête, s’est réjoui d’une part de cette avancée démocratique, et de cette « injection » d’éthique dans un monde qui cumule les abus en temps de crise, comme l’a illustré récemment la prime de départ de 60 millions d’euros attribuée au président du groupe pharmaceutique Novartis Daniel Vasella, prime qu’il a finalement décliné devant le tollé soulevé.
 
Un texte qui doit encore être mis en œuvre
 
Même au pays des montres, le temps législatif est toujours plus long que les aspirations populaires, et cette initiative n’en est qu’à la première étape d’un processus qui pourrait aboutir à un texte remanié en profondeur. En l’état actuel, le texte concerne les sociétés suisses cotées en bourse, en Suisse ou à l’étranger. Le texte prévoit l’interdiction de certaines primes, telles les indemnités de départ (les « parachutes dorés ») ou les primes lors des achats de sociétés. Les rémunérations du conseil d’administration et de la direction seront soumises annuellement au vote de l’Assemblée générale des actionnaires. Le projet plafonne en outre la durée du mandat des membres des conseils d’administration à un an. En cas d’infractions le contrevenants s’exposent à une peine maximale de trois années de prison et à une amende équivalente à six années de salaires (3) .
 
Mais pour l’instant, ce projet se heurte à l’opposition du Parlement, qui a de son côté fait une contre-proposition qui va dans le même sens, mais de façon considérablement édulcorée. Même si le projet Minder devait être adopté, il faudrait compter au moins une bonne année avant sa mise en application. Cette dernière nécessite en effet que l’initiative soit transformée en projet de loi, puis voté par le Parlement, ce qui parait loin d’être évident aujourd’hui. En cas d’échec du vote, ce serait la contre-proposition émise par le Parlement qui entrerait en vigueur. Les obstacles sont donc encore nombreux pour que le texte aboutisse.
 
Un exemple dont il faut s’inspirer ?
 
Ce texte a été salué par l’ensemble des dirigeants européens, car les rémunérations abusives sont une problématique partagée par nombre de pays, qui, au nom de la justice sociale ou de la simple décence en temps de crise, ont fait de ce combat un argument politique. La France n’est pas en reste, et dès le mois de juillet 2012, les rémunérations des sociétés publiques ont été plafonnées par décret à 450 000 euros annuels, fait que les Suisses ont bien noté d’ailleurs (4) .
L’Europe a plusieurs projets dans ses cartons qui suivent la même ligne. Le Parlement européen va ainsi proposer un texte limitant la part variable du salaire des banquiers à la part fixe, limiter les montants des bonus et le soumettre au vote des actionnaires. Le Royaume-Uni, première place financière d’Europe, a fait connaitre son opposition au projet, mais ce type de texte législatif ne nécessite pas l’unanimité pour être voté (5) .
 
La réticence britannique n’est pas uniquement dictée par la volonté des banquiers de continuer à jouir de salaires astronomiques, mais repose sur la question plus large de l’attractivité européenne pour les talents et les capitaux. La taxation des flux financiers a d’ores et déjà assécher une partie des flux vers les places financières qui la pratiquent. La limitation du salaire des dirigeants de sociétés cotées en bourse risque de faire fuir une partie des managers de talents vers les pays qui n’imaginent pas ce type de réglementation, Etats-Unis en tête. Bien que les excès doivent être combattus, un salaire élevé et les primes afférentes sont là pour attirer les plus talentueux vers des postes à haute responsabilité avec parfois la tâche délicate de redresser une entreprise en difficulté.
 
De plus, comme le note Ursula Fraefel, responsable de la communication de l’association Economiesuisse opposée au projet, cette règlementation consacre la prééminence du capital, c’est-à-dire des actionnaires, sur l’aspect managérial, la direction de l’entreprise : « Elle ne fait que déplacer le pouvoir des conseils d'administration vers les actionnaires […] Les actionnaires auront à l'avenir le pouvoir de décision final en ce qui concerne la rétribution des managers ». Ulrich Thielemann, économiste et universitaire suisse, voit plutôt dans la limitation généralisée des parts variables le seul levier efficace contre la course aux profits (6) . Cela signifie que la réglementation européenne en gestation est peut-être une meilleure idée qu’un projet suisse qui donne encore plus de pouvoir aux actionnaires. Or le contrôle des actionnaires est un domaine sur lequel les institutions publiques ont notoirement peu de prise.


1 68% des Suisses veulent supprimer les «rémunérations abusives» des patrons, Le Parisien.fr, 03 mars 2013
2 La Suisse vote sur les salaires des patrons, Europe 1.fr, 3 mars 2013
3 Les Suisses plébiscitent l’interdiction des parachutes dorés, Libération.fr, 03 mars 2013
4 Le vote suisse sur les rémunérations abusives inspire l'Elysée, Radio Télévision Suisse.ch, 04 mars 2013
5 L'UE se penche sur le salaire des banquiers, Le Figaro.fr, 04 mars 2013
6 L’initiative Minder aura un rayonnement global, Swiss Info.ch,  04 mars 2013









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