Réduction des arrêts maladie : un risque managérial sous-estimé ?



Aurélien Lacroix
20/06/2025

En resserrant les contrôles sur les arrêts maladie, l’Assurance maladie entend freiner la progression des dépenses publiques. Mais cette stratégie pourrait, à moyen terme, exposer les employeurs à un paradoxe : voir revenir au travail des salariés insuffisamment rétablis, avec des conséquences managériales sous-évaluées.


Moins d’arrêts maladie, plus de salariés présents… mais malades ?

Le 19 juin 2025, la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) a officialisé une campagne de contrôle renforcé des arrêts maladie, ciblant particulièrement les prescriptions longues. Cette initiative intervient alors que les indemnités journalières explosent et que le déficit de la Sécurité sociale s’aggrave. Si l’objectif budgétaire est clair, le dispositif pourrait générer une autre forme de vulnérabilité : un présentiel contraint qui met à l’épreuve l’organisation du travail et la gestion des ressources humaines.

Depuis début juin 2025, environ 500 médecins généralistes ont reçu une notification de “mise sous objectif” (MSO) de la part de l’Assurance maladie. Ces praticiens sont incités à réduire de 20 % leurs prescriptions d’arrêts maladie à partir de septembre, sous peine d’un suivi renforcé. Une seconde vague est prévue pour janvier 2026, détaille BFMTV.

Si l’initiative s’inscrit dans un objectif clair de réduction du déficit de la branche maladie, elle pourrait avoir un effet rebond non anticipé : celui d’un retour anticipé ou d’un non-départ en arrêt de travail pour des salariés pourtant souffrants. MG France, principal syndicat de médecins généralistes, évoque un « effet dissuasif » sur les praticiens, qui pourraient hésiter à prescrire par crainte d’un contrôle. Pour l’entreprise, cela signifie un risque accru de gestion de salariés en sous-capacité, voire malades.

Une pression sur la décision médicale, aux répercussions internes

« Ce qui nous pose problème, c’est que cette nouvelle campagne ne vise que les arrêts longs », a expliqué le Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France citée par BFMTV. Elle souligne que ces prescriptions sont souvent liées à des pathologies lourdes, notamment psychiques, et que leur remise en cause peut fragiliser la relation thérapeutique.
Du côté managérial, le constat interroge : en minorant certains symptômes, des collaborateurs peuvent revenir trop tôt sur site, ou rester sans repos nécessaire. Ce phénomène, appelé « présentéisme thérapeutique », est identifié depuis plusieurs années comme un facteur de baisse de performance, de dégradation du climat social et, dans certains cas, de récidive médicale.
Le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, alerte : « La prescription d’arrêt de travail sert aussi à mettre certains patients à l’abri d’un risque comme un management toxique », relaye Le Quotidien du Médecin.

Vers une injonction contradictoire pour les entreprises ?

L’employeur se retrouve face à une tension opérationnelle. D’un côté, la réduction de l’absentéisme peut sembler une opportunité à court terme. D’un autre, la présence sur site de collaborateurs affaiblis peut impacter le collectif, provoquer des erreurs, ou relancer un turn-over indésirable. Dans certains secteurs, comme les soins, la restauration ou la logistique, ces effets sont démultipliés.
L’apparition d’un outil de pilotage externe, comme la MSO, place la décision médicale sous contrainte. Or, selon une étude de la Dares, 64 % des arrêts longs sont associés à une situation de fatigue extrême ou de surcharge psychologique. Leur limitation pourrait renforcer le désengagement, voire le burn-out, avec des conséquences bien supérieures sur le plan économique.
La campagne “opération transparence IJ” lancée par MG France vise à dénoncer cette situation. Elle appelle à la vigilance sur les effets secondaires de cette logique purement comptable.

Les directions RH face à un nouvel arbitrage

Si les dispositifs anti-fraude sont légitimes — la fraude aux arrêts maladie aurait représenté 30 millions d’euros en 2024 selon l’Assurance maladie — la systématisation des réductions de prescriptions, sans tenir compte du contexte professionnel, pose question.
Les DRH doivent désormais affiner leur suivi des signaux faibles : demandes récurrentes de repos, conflits latents, baisse de productivité. Un dialogue renforcé avec les services de santé au travail devient crucial pour évaluer l’authenticité des fatigues exprimées… même en l’absence d’arrêt médical.