Défaillances d’entreprises : un record depuis 2009



Anton Kunin
14/10/2025

En septembre 2025, la France a connu une vague de défaillances d’entreprises sans précédent depuis la crise financière de 2009. Derrière la brutalité des chiffres, certains indicateurs témoignent néanmoins d’une économie qui se réorganise plutôt qu’elle ne s’effondre.


Une vague de défaillances qui traduit une correction structurelle

Ce sont 6.800 défaillances d’entreprises qui ont été enregistrées en France en septembre 2025, soit le niveau de rentrée le plus élevé depuis seize ans, rapporte le cabinet Altares. Après plusieurs trimestres d’alerte, le système entrepreneurial français semble atteindre un point d’inflexion, où la sélection naturelle des acteurs fragiles coexiste avec une résistance étonnante du tissu productif.

Le troisième trimestre 2025 a été marqué par une accélération nette des dépôts de bilan : 14.371 procédures collectives ont été ouvertes entre juillet et septembre, soit +5,2% sur un an. Depuis janvier 2025, 50.700 entreprises ont fait l’objet d’une procédure judiciaire, contre 49.100 à la même période de 2024.

Les tensions sont particulièrement fortes dans l’industrie et les services aux entreprises : les premières enregistrent une hausse de 17% des défaillances, les seconds de 9%. Des secteurs très exposés à la contraction de la demande et à la hausse persistante du coût du capital. La normalisation post-Covid, avec la disparition progressive des aides d’urgence, agit comme un révélateur : les entreprises les plus endettées ou les plus dépendantes des subventions peinent désormais à absorber le retour à une économie de marché plus stricte.

Mais cette vague n’a rien d’un effondrement généralisé. Comme le rappelle Thierry Millon, directeur des études d’Altares, « le mois de septembre a refroidi les espoirs d’un retournement », tout en illustrant un phénomène de correction attendu. L’économie française, dit-il, « est plongée dans un épais brouillard », mais elle conserve ses moteurs essentiels : la consommation des ménages résiste, et les grands groupes maintiennent un niveau d’investissement soutenu.

Les TPE restent les plus vulnérables : celles employant plus de cinq salariés voient leurs défaillances grimper de 9%, tandis que les PME de 10 à 19 salariés connaissent une envolée de 13%. En parallèle, 46 entreprises de plus de 100 salariés ont fait faillite en septembre, menaçant 10.000 emplois. Cette polarisation illustre la difficulté du segment intermédiaire du tissu productif : trop grandes pour bénéficier de la souplesse micro-économique, mais trop petites pour accéder facilement au financement obligataire ou à l’investissement institutionnel.

Derrière la sévérité des chiffres, des signaux de résilience

Malgré la brutalité apparente des statistiques, plusieurs indicateurs attestent d’un regain de solidité du système. Les redressements judiciaires – procédures visant à sauver l’activité – représentent désormais 30% des cas, contre 23 à 24% avant 2022. Cette proportion, en hausse de 10,7% sur un an, traduit la capacité accrue des tribunaux et des administrateurs à maintenir les entreprises viables à flot.

Dans le même temps, les liquidations judiciaires directes progressent modérément (+2,8%), un signe que la casse reste maîtrisée. Altares note également que le nombre d’emplois menacés recule légèrement : 65.000 postes au deuxième trimestre, soit -6,5% sur un an. « Sans surprise, dans une économie poussive, le plateau durable que nous envisagions en début d’année s’est installé », résume Thierry Millon.

Ce plateau correspond à une phase d’ajustement où les défaillances cessent d’être un indicateur de crise pour devenir un marqueur de transformation. Les entreprises sous-capitalisées, peu numérisées ou trop dépendantes de la demande intérieure sortent du marché, tandis que les structures plus solides consolident leurs positions. Dans ce contexte, la montée en puissance des solutions de restructuration préventive (conciliation, mandat ad hoc) contribue aussi à amortir les chocs.

La géographie du phénomène confirme cette lecture : les régions industrielles comme les Hauts-de-France ou l’Auvergne-Rhône-Alpes enregistrent une hausse à deux chiffres des défaillances, mais la région parisienne et l’Ouest du pays résistent mieux. Le redressement du commerce et la relative stabilité du BTP expliquent cette disparité.

Les entreprises artificiellement maintenues à flot pendant le Covid-19 sortent des registres

Les économistes anticipent une stabilisation des défaillances d’entreprises à un niveau élevé mais maîtrisé. La comparaison historique demeure parlante : même avec 6.800 procédures en septembre 2025, la France reste en-deçà des sommets atteints en 2013 (plus de 63.000 sur douze mois glissants). La période actuelle s’apparente davantage à une « normalisation haute » qu’à un nouveau cycle de crise.

La fin progressive des aides post-pandémie joue ici un rôle central. Les mesures de soutien ont artificiellement maintenu à flot plusieurs dizaines de milliers d’entreprises non rentables. Leur disparition libère des parts de marché et accélère la recomposition sectorielle. Ce processus de sélection naturelle, douloureux à court terme, favorise à moyen terme une meilleure allocation du capital.

Dans ce contexte, certains signaux macroéconomiques invitent à la prudence mais pas au pessimisme. L’inflation reflue, les coûts de l’énergie se stabilisent, et la demande intérieure, bien qu’en repli, demeure soutenue par l’emploi et les salaires réels. Le gouvernement prépare de nouvelles mesures ciblées : reports de charges conditionnels, extension des prêts participatifs de relance et dispositifs de garantie pour les transmissions d’entreprises. Le marché du financement reste cependant contraint : les taux directeurs de la BCE, toujours à des niveaux élevés, pèsent sur la trésorerie des PME. Mais la baisse graduelle attendue en 2026 pourrait redonner de l’air à celles qui traversent la zone de turbulence actuelle.

En somme, la rentrée 2025 marque un tournant. Le nombre de dépôts de bilan reflète moins une dégradation soudaine qu’une recomposition accélérée du paysage entrepreneurial français. Si la vigilance demeure, les fondamentaux – emploi, investissement, innovation – n’indiquent pas un effondrement, mais une économie qui se rééquilibre.